Histoire de la Haute Loire
Histoire de la Haute Loire
La Haute-Loire, comme l'Aveyron, comme la Lozère, calque son territoire, sinon ses frontières exactes, sur la géographie d'une ancienne tribu gauloise : les Vellaves, indigènes du Velay. Le terroir, anciennement colonisé, dès le néolithique et l'âge du fer, n'était pas dépourvu de ressources agricoles, tout comme les autres régions du Massif central... et de la Gaule. Les fameuses lentilles, emblématiques du département, étaient déjà cultivées, fort caillouteuses à l'époque. Le site prestigieux, ultérieur, des églises jumelées de la ville du Puy s'ornait tout au plus, à l'époque, de quelque sanctuaire païen, dont il est difficile de préciser l'identité. Jumelage symbolique aussi, à quelque distance l'une de l'autre, de deux vieilles cités, Ruessium, aujourd'hui Saint-Paulien, capitale du Velay gallo-romain, et Anicium, de nos jours Le Puy, lieu-dit perché qui supplantera peu à peu Ruessium.
Invasions germaniques
Après plusieurs épisodes confus, les Wisigoths s'imposent, comme dans le sud de la Gaule et en Espagne. La christianisation est symbolisée par le martyr de saint Julien de Brioude, ville dont l'appartenance ethnique était plus arverne que vellave. En principe, les Wisigoths cèdent la place aux Francs mais les caractéristiques essentielles du pays restent latines et pré-latines, au moins pour la toponymie. L'érémitisme et le monachisme se développent, sous les espèces et apparences d'un faux christ berrichon, signalé au Puy en 591. Aux IX-Xèmes siècles, l'auvergnat Plantevelue gouverne le pays vellave par personnes interposés, mais les influences religieuses viennent plutôt de la vallée du Rhône. Le féodalisme naissant, là comme ailleurs, multiplie les pouvoirs locaux, et le pèlerinage du Puy prend forme à partir des initiatives compostelliennes de l'évêque local, Godescalc. Au XIème siècle, le culte marial est l'une des sources essentielles de l'urbaine prospérité du nouveau chef-lieu. A l'écart du royaume capétien, la cité ponote suscite les convoitises des Polignac, grands seigneurs du voisinage. Le beau XIIIème siècle est un apogée pour une communauté citadine heureusement située sur le « Chemin français », que prolonge au sud la Voie régordane vers Alès, Nîmes, Aigues-Mortes. Les deux sanctuaires célèbres, Notre-Dame et Saint-Michel, ont été progressivement mis en place du Xème au XIIIème siècle, encore lui. Les XIV-XVèmes siècles sont secoués par les crises habituelles de ce temps : peste noire, Grand Schisme, banditisme des Routiers.
Le beau XVIème siècle
Il commence en fait vers 1470 : faut-il parler des quatre-vingt-dix glorieuses jusque vers 1560 ? L'attraction de la Vierge noire (noirceur qui ne remonte en fait qu'à la fin du Moyen-Âge) et les performances de l'élevage montagnard (mulets et autres quadrupèdes) créent une authentique prospérité, significative de la Renaissance économique. La Renaissance artistique, elle, est un peu plus tardive (longue persistance du Gothique). Les Guerres de Religion (1560-1595) sont extrêmement cruelles, relativement dépressives pour l'économie, mais illuminées en notre temps par l'œuvre magistrale de mon élève et ami Bernard Rivet. Les intérêts de toute sorte du diocèse vellave en général, et de la ville du Puy en particulier, du simple fait du culte ultra-catholique de la Vierge, sont tels que le protestantisme n'a presque aucune chance : la répression « papiste » aura vite fait de le déraciner presque partout. La huguenoterie ne se maintient en réalité que dans deux communautés encore actuelles, dont le célèbre Chambon-sur-Lignon. Sur les trente-cinq années des guerres religieuses puis ligueuses, l'immense talent de Bernard Rivet, et notamment sa maîtrise de la paléographie, ont apporté quantité d'éléments originaux. Là comme ailleurs, la tendance ligueuse qui tient Le Puy présente des aspects réactionnaires, catholicisme extrêmement rigide, mais aussi démocratiques, sous les auspices d'une souveraineté locale formée de bourgeois... et de membres du clergé. La caste consulaire, jusqu'alors extrêmement étroite, fait place à des hommes nouveaux. La mainmise ultra-papiste s'incruste plus longtemps qu'ailleurs et c'est seulement en 1596 qu'elle cède quelque peu la place aux représentants des autorités légales, à tout le moins royales, « Henri-quatrièmes » en d'autres termes. L'âge classique est illustré par l'infatigable activité d'un grand évêque, Armand de Béthune, aussi catholique qu'était protestant son grand-oncle Sully. Les Jésuites, dignement représentés par saint François-Régis, rayonnent à partir de leurs bases ponotes : ils opèrent des conversions dans le bastion huguenot du Vivarais, aux frontières vellaves.
Le XVIIIème siècle
Il est marqué par la croissance démographique, ce qui n'a rien d'original dans la France des Lumières. On note aussi l'essor modéré d'une économie traditionnelle, écologiquement conservatrice mais pas inefficace pour autant. Dans le cadre actuel, certes virtuel, du département de Haute-Loire, les révoltes antifiscales frappent plutôt, hors du Velay proprement dit, la zone auvergnate. Fin d'Ancien Régime, une petite crise des vocations religieuses se fait sentir chez les hommes, mais non point chez les nonnes. Côté relations extérieures, plus lointaines qu'on ne le croirait : les dentelles de fabrication locale traversent l'Occitanie, franchissent les Pyrénées, s'exportent jusqu'en Amérique latine.
La Révolution
Dès les premières années de la Révolution, la Constitution civile du clergé, acte stupide si l'on en croit les confidences d'Albert Soboul, rejette la majorité des catholiques, notamment au Puy, dans le camp des adversaires du nouveau système. Par contraste, un personnage électrique et baroque, Solon Reynaud, incarne la déchristianisation, quitte à se ranger dans un modérantisme obscur après Thermidor.
Le XIXème siècle
Les germes d'industrialisation (sous la forme du travail rural à domicile) apparaissent dans les régions de Haute-Loire proches de Saint-Étienne, ville-champignon par excellence. La Seconde République fait suite à une crise économique nationale et locale inaugurée en 1846 : les quarante-huitards du cru effectuent une modeste percée républicaine, sans lendemain immédiat. Lors de la seconde moitié du XIXème siècle, aux côtés d'un clergé actif, l'organisation féminine des béates, qui remonte au XVIIème siècle, distribue l'éducation religieuse et un enseignement primaire encore élémentaire. La population départementale atteint son maximum dans les années 1860-1870, et se maintient à ce niveau élevé, en termes de pourcentages démographiques, jusqu'au commencement de la République des Jules (années 1880). Bizarrement, le pays devient majoritairement républicain lors des deux dernières décennies du XIXème siècle, sans conflits majeurs avec un épiscopat prudent. Ils ne surgiront que lors de la querelle des inventaires après 1900.
La Première Guerre mondiale
Elle est une catastrophe démographique pour le département. Politiquement, il va virer à droite pendant l'Entre-deux-guerres, sans cesser pour autant d'être républicain. La défaite de 1940 est suivie par l'apogée local du vichysme et, plus précisément, du pétainisme, le tout culminant au mois d'août 1942 avec le triomphal Pèlerinage de la jeunesse : il réunit des participants venus de toute la région, notamment Rhône-Alpes comme on dit aujourd'hui. L'accueillant pays protestant du Chambon-sur-Lignon cache des Juifs, des résistants, des réfractaires. L'occupation de la zone sud prépare les conditions d'une Résistance ; elle s'incarne dans l'important maquis du Mont-Mouchet, en Margeride. Après-guerre, et lors des Trente Glorieuses, le département réussit enfin sa modernisation, y compris industrielle. En termes démographiques, les prévisions sont plutôt optimistes, mais chi lo sa...
Emmanuel Le Roy Ladurie, de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France