Les scieurs de long
Le départ
lls étaient fort occupés les derniers jours, il fallait que tout soit en ordre avant le départ. Ils étaient rassurés de voir le foin bien à l'abri dans la fenière, les récoltes engrangées, le bois fendu et rentré dans le bûcher, les gros travaux automnaux terminés : labourage et semailles, battage des céréales, derniers soins au bétail, dernières réparations et voilà... sonnait l'heure du départ.
Chaussés d'une bonne paire de sabots neufs de fabrication familiale, ou locale, habillés d'un pantalon de velours épais resserré à la cheville (peau du diable), et de la traditionnelle biaude ou blaude l'ample blouse bleu foncé recouvrant tricot de laine et chemise de chanvre, coiffé d'un grand chapeau ou d'un vaste béret pareil à la tarte des Chasseurs Alpins, les voilà sur le départ.
Dans leur poche ils avaient fourré : papiers, bourse en peau contenant le viatique que venait de verser le patron, tabatière en corne, l'inséparable couteau et autres bricoles. A leur tenue vestimentaire, des plus modestes, et à leurs chansons, symbole de leur corporation, on repérait de loin les scieurs de long du Massif Central.
Ils emportaient pour tout bagage un balluchon avec quelques vêtements de rechange, une paire de sabots d'avance, un peu de victuailles pour les premiers jours du trajet, et bien sûr les outils : haches, limes, chaînes, le passe-partout et la grande scie démontée, soigneusement emballée dans de vieilles pattes (Chiffons), outils qui sortaient des mains du forgeron local ou façonnés par eux-mêmes.
La besace sur l'épaule, ils tenaient en main la poignée de la scie après laquelle l'outillage était judicieusement accroché. Un dernier adieu à la famille, un grand salut à la compagnie, voilà nos hommes partis pour une nouvelle campagne.
En principe, les sobriquets dont restaient affublés les scieurs de long se rapportaient aux lieux qu'ils avaient fréquentés : l'Espagnol... L'un d'entre eux de Saint-Bonnet-le-Courreau (42) était connu sous le surnom de Marmite depuis qu'il avait eu la charge de porter la marmite à cuire la soupe pendant les trajets.
Par certaines situations, un rapprochement pouvait être fait entre le départ des scieurs de long et celui des militaires, dans les deux cas n'employait-on pas les expressions partir en campagne et brigade. Les départs donnaient lieu à de belles manifestations de sympathie. Par sécurité et par commodité, c'était en groupe qu'ils quittaient leur ville ou leur village. Un bref bond en avant pour préciser qu'ils devaient être d'autant plus vigilants au retour qu'ils avaient empoché leurs gains.
En 1707, quatre scieurs de long de la région d'Allanches (15) partaient pour le Languedoc, quand ils furent assaillis à Ventuéjol près de Chaudes-Aigues (15), cette rixe se termina par la mort de l'un d'entre eux, tué d'un coup de fusil.
Devant tous ces déplacements, nombre d'itinéraires étaient fixés par la tradition. Ils savaient où ils allaient, retournaient souvent au même endroit, le circuit leur devenait familier. Ils empruntaient les grandes voies de communication et les chemins de halage. Les Auvergnats et les Limousins descendant dans le Midi suivaient la Voie Regordane. Pour la grande majorité des scieurs de long, les trajets s'effectuaient à pied, ils parcouraient ces centaines de kilomètres, par étapes. Chaussés de sabots ou de grosses galoches, ils atteignaient les quarante kilomètres par jour, à travers routes royales et grands chemins.
Ils fréquentaient les auberges que les anciens leur conseillaient. Il couchaient aussi dans les écuries ou dans les granges. Les voyages en train débutèrent vers 1855.