Les scieurs de long
Migrations temporaires, voire définitives
Transcription de l'acte de décès d'un de mes ancêtres de Saint Alyre d'Arlanc (63)
Autour de la Saint-Jean d'été, c'était le GRAND RETOUR vers la terre natale... Pour leur bonheur ou pour leur malheur, tous ne sont pas rentrés. A leur bonne réputation, s'ajoutait leur agréable physique, fruit de la rude gymnastique à laquelle ils étaient soumis et de la vie au grand air. Rien d'étonnant que ces beaux garçons, bien charpentés, sans graisse superflue, aient un franc succès auprès des filles de là-bas.
Ils fréquentaient une "bonne amie", se mariaient et fondaient une famille. Ainsi ont-ils fait souche en Touraine, dans le Perche... et l'émigration temporaire devenait pour eux émigration définitive. Dans ces contrées lointaines, d'autres migrants ont également connu des jeunes filles et ont convolé en justes noces. A l'inverse des couples cités précédemment, certains s'installèrent dans le Massif Central, les mariées renonçant à leurs pays pour suivre leurs beaux scieurs de long. Et enfin, il y a eu les cas des couples qui abandonnent tout, pour aller se fixer définitivement dans une autre contrée.
A la fin de la saison le patron distribuait les gains. S'ils savaient qu'ils revenaient au même endroit à l'automne prochain, ils laissaient leurs outils. Pécule en poche, et à nouveau baluchon sur l'épaule, ils faisaient le même chemin en sens inverse.
S'ils changeaient d'employeur en cours de saison, ils essayaient de se rapprocher de leur domicile afin d'abréger le trajet du retour. Ceux qui étaient originaires du Plateau de Millevaches et plus précisément de la Haute Corrèze, où jadis, on se chauffait à la tourbe, il n'y avait pas de forêts, une tradition des scieurs était de ramener des jeunes plants de chênes qu'ils plantaient ensuite en bordure des chemins, dans les prés de fauches. Les Corréziens avaient la tradition de rapporter des plants de chênes. Quant aux Auvergnats du Livradois et notamment ceux de Valcivières (63) ils ramenaient de Normandie des greffons de pommiers ; ces hommes avaient eu le temps, durant leurs longs séjours, de connaître et d'apprécier les diverses variétés de pommes. Ainsi sur les flancs du Massif de Pierre-sur-Haute, voyait-on fleurir en mai-Juin, au beau milieu des prairies verdoyantes, de nombreux pommiers. Les belles et bonnes pommes étaient ramassées à l'automne et conservées toute la mauvaise saison dans les souillardes.
Sans nouvelle depuis si longtemps, la joie du retour était entachée d'une certaine appréhension. Ils se posaient bien des questions : la famille s'était-elle agrandie par la naissance d'un enfant, endeuillée par la mort d'un être cher... et les bâtiments et les foins cette année, et les seigles et le bétail ? Vivement les retrouvailles.
Attention ! ils ne s'offraient pas trois mois de vacances dans leurs belles montagnes, ah ça non ! Ils rangeaient dans un coin passeport et outils, essayaient d'oublier la forêt d'Eawy ou le port de la Rochelle, et s'emparaient de la faux et autre faucille. Commençait alors la saison des foins...
Ceux qui n'avaient rien se louaient comme vacher et passaient l'été sur la montagne, qui en jasserie, qui en buron, avant de repartir pour une nouvelle campagne sous la protection de Saint Simon leur Saint-Patron.